L’Église est-elle contre le sexe ?

25 janvier 2018

Bertrand Dumas

Débat. L’Église et la sexualité semblent faire mauvais ménage. La première prétendrait que la deuxième est une source de péché. Et ne devrait être utilisée que pour la reproduction. Qu’en est-il exactement, loin des clichés ?

Le débat entre Lili Sans-Gêne et Bertrand Dumas

L’Église a peur du sexe. La preuve, c’est qu’elle dit qu’il n’est pas bon d’avoir du plaisir !

Reconnaissons que pendant longtemps, on a eu du mal, dans l’Église avec cet aspect de la sexualité. Bien sûr, les chrétiens ont toujours rejeté le manichéisme (considérant le corps et la sexualité comme mauvais en soi). Pour autant, des difficultés demeuraient : la sexualité-reproduction, on en voyait bien l’intérêt. Mais quant à la sexualité-plaisir, aussi bien les chrétiens que les philosophes restaient perplexes voire carrément réservés à son sujet. Depuis, les choses ont changé ! Rejoignant la sensibilité contemporaine, l’Église reconnaît maintenant le caractère potentiellement positif de la jouissance. Pour cela, elle s’appuie non seulement sur l’expérience des couples eux-mêmes, mais aussi sur la richesse de la spiritualité juive telle qu’elle s’exprime par exemple dans le Cantique des Cantiques. Pensez que nous avons la chance d’avoir, au beau milieu de la Bible, un livre qui fait l’apologie de la sexualité-plaisir en termes forts, le bien-aimé n’hésitant pas à se lancer par exemple dans une description admirative de la beauté des seins de sa bien-aimée (Ct 7, 4) !

Admettez pourtant que l’Église semble complètement has been en demandant, par exemple, à ses fidèles de ne pas coucher avant le mariage. C’est une utopie !

Dumas Certes, notre société pousse fortement à vivre la sexualité sans trop se poser de questions. Pourtant, ne présumons pas trop vite à la place des autres du caractère irréalisable de telle ou telle chose. La sexualité n’est pas une compulsion : se contrôler, attendre, sont de l’ordre du possible. Difficile, mais possible. Quoi qu’il en soit, il me semble que la question n’est
pas là. Pas d’abord. Ce qui compte avant tout, c’est le pourquoi : pourquoi avoir des relations sexuelles ? pourquoi ne pas en avoir ? Au fond, à quoi riment-elles ? C’est la grande question du sens. Finalement, ce que l’Église essaie de dire c’est que la sexualité peut être un lieu éminemment humain et spirituel. Que le plaisir – si légitime et si désirable soit-il – n’en livre pas tout le secret. Qu’il y a là un mystère qui demande temps, délicatesse, maîtrise de soi, confiance… Dans la sexualité comme en tout domaine (art, science, éducation, etc.), rien de vraiment humain qui n’appelle notre coopération active et, souvent, coûteuse.

Elle essaie pourtant de culpabiliser les fidèles en affirmant que les relations sexuelles ne servent qu’à avoir des enfants.

De fait, pendant un peu plus de 1 500 ans l’Église a surtout souligné cette finalité des relations sexuelles que constituent la procréation et l’éducation des enfants. Cette vision a marqué l’imaginaire collectif. Pourtant, la perspective a changé : au XXe siècle, l’Église a été amenée à mettre en lumière le fait que les relations sexuelles en soi constituent un bien pour le couple lui-même. Qu’on ne fait pas l’amour d’abord pour avoir des enfants, mais pour dire et pour renforcer l’affection mutuelle. Déjà en 1965, le concile Vatican II qualifiait l’union sexuelle d’actes « honnêtes et dignes […] par lesquels les époux s’enrichissent tous les deux dans la joie et la reconnaissance » (Gaudium et spes, 49). Il ne s’agit pas de nier l’importance de la procréation, mais d’insister à frais nouveaux sur le désir, le plaisir et la tendresse liés à la sexualité. Ceux-ci constituent en soi un trésor pour la femme et pour l’homme ; pas seulement un moyen au service de la fécondité. Pour finir de s’en convaincre, on peut lire les très beaux passages de l’exhortation La joie de l’amour du pape François, parue en 2016 : il y a plusieurs paragraphes carrément consacrés à « la dimension érotique de l’amour ». En voici les premiers mots : « Dieu lui-même a créé la sexualité qui est un don merveilleux fait à ses créatures » (La joie de l’amour, 150). Tout un programme !

Et la masturbation ? Là aussi, l’Église dit que c’est un péché, alors que tous les sexologues aujourd’hui disent au contraire que c’est naturel de se donner du plaisir.

Élevons un peu le débat. Car là encore, il me semble que les chrétiens ne doivent pas mélanger les genres mais se concentrer sur l’essentiel : la sexualité a-t-elle un sens ? Si oui, quels actes l’exprimeront le mieux ? Pour les chrétiens, la sexualité peut se comprendre en termes de don réciproque. Une sorte de langage amoureux en actes, la transcription charnelle de l’élan qui porte deux personnes à unir tout leur être. Or, on n’a jamais vu que le monologue soit la figure la meilleure de la communication ! Si donc la sexualité est comprise comme dialogue de deux êtres, il faudra chercher les formes qui expriment le mieux cette réciprocité. La masturbation ? Plutôt que de dramatiser, mieux vaut en faire une occasion de s’interroger.

Pourtant, faire l’amour juste pour le plaisir, même si on n’est pas amoureux, ça fait du bien, ça rend heureux ! Il faut profiter de la vie, s’amuser !

On peut effectivement insister sur la légèreté de l’acte sexuel. Après des siècles d’excessive dramatisation catholique de la chair (la sexualité, le péché grave), cette perspective a l’avantage de rappeler que la sexualité est aussi jeu, délassement, fantaisie. Pourtant, la vie se chargera souvent de venir démentir d’elle-même cette vision un peu naïve, car incomplète. Ce sera par exemple la perspective d’une grossesse, ou bien la blessure d’une relation dégradante, ou encore la souffrance d’un abandon, voire le spectre d’une maladie. Signes négatifs, pénibles rappels que la sexualité engage toute la personne. Plus positivement : comment oublier que faire l’amour est un acte fort ? La littérature et le cinéma se chargent de nous rappeler que le corps sexué constitue un des lieux majeurs de l’expression amoureuse. Un lieu de plaisir, mais aussi de vulnérabilité consentie, d’attachement, de tendresse. Qu’on le veuille ou non, faire l’amour c’est toujours donner de soi.

Et la pornographie ? Regarder un petit film X de temps en temps, ça ne fait de mal à personne, ça permet de donner un coup de pouce à sa libido.

Au contraire : de plus en plus de thérapeutes constatent des liens entre pornographie et pannes du désir. La pornographie, c’est une plongée dans le monde illusoire des prouesses sexuelles impossibles à reproduire, des désirs et des plaisirs simulés, et surtout dans une violence omniprésente : les « partenaires » se réduisent l’un l’autre à l’état de corps-machine. La pornographie, avant d’être une immense affaire commerciale, c’est un vaste mensonge qui risque de nous empêcher d’entrer dans une sexualité vraie ; c’est-à-dire tendue entre émerveillement et caractère très ordinaire. C’est justement un des défis de notre époque : vivre une vie sexuelle qui ne soit ni idéalisée, ni méprisée. Le chemin est long… la pornographie n’y aide pas.

De toute façon, la sexualité n’a rien à voir avec la religion. Que l’Église s’occupe de nous parler de Dieu et reste à la porte de notre chambre !

Tout dépend du Dieu dont on parle : si c’est Jupiter, entendu ! Mais si c’est Celui qui nous a aimés jusqu’à devenir homme, alors c’est différent. Comment séparer la religion des autres considérations humaines, notamment morales ? De plus, nous
sommes un tout : il n’y a pas d’un côté la relation à Dieu, de l’autre notre agir humain. Après, je suis d’accord avec vous pour dire que l’Église catholique a trop souvent dicté aux fidèles leurs actes intimes et qu’elle doit continuer à se garder de cette tentation. Comme l’écrivait le pape François : « Il nous coûte de laisser de la place à la conscience des fidèles (…). Nous sommes appelés à former les consciences, mais non à prétendre nous substituer à elles » (La joie de l’amour, 37). C’est aux fidèles de mener leur vie amoureuse et sexuelle au regard de l’Évangile ; attentifs aux interpellations de l’Église, pourvu qu’elle le fasse avec la discrétion requise.

Bertrand Dumas
Marié et père de famille, il est théologien catholique et conseiller conjugal et familial (CLER Amour et famille). Auteur de plusieurs articles et ouvrages, dont : Chemins vers le silence intérieur avec Henri de Lubac, spirituel et théologien, Parole et Silence, 2016, et La mort, un passage ? Regards croisés bouddhistes et chrétiens, Cerf, 2017. Après avoir dirigé le centre théologique de Meylan-Grenoble (CTM) pendant plusieurs années, il enseigne maintenant la théologie systématique – et notamment la théologie du mariage – à la faculté de théologie catholique de l’université de Strasbourg.

Pour aller plus loin

www.cler.net
CLER Amour et famille

Couple, le pari du dialogue. Sexualité, tendresse, communication, crises, Scotto, Fiso, Tiggiano, Éd. Nouvelle Cité, 2011

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