Passionnément amoureux de la mer, de ses plages et de ses ports, Patrick Poivre d’Arvor les nomme comme une « prière adressée à la beauté des choses de la vie ». Avec La Bretagne au cœur, il signe un ouvrage poétique, profondément enraciné dans un terroir à forte personnalité et qui exhale les embruns iodés. Le journaliste, qui a accepté de se livrer en toute simplicité, témoigne d’une vie densifiée par la contemplation de la nature et une plus grande charité….
PROPOS RECUEILLIS PAR IRIS BRIDIER
Dans votre livre, vous célébrez la Bretagne et vous déclarez votre flamme à la mer dont on comprend combien elle vous fait vibrer. Vous êtes sensible à sa puissance et à sa majesté, vous saluez la bravoure des marins. Aimeriez-vous être un skipper du Vendée Globe ? Oui ! Je n’en ai pas la capacité, mais j’ai quand même traversé l’Atlantique en 1996 pour la course Québec-Saint-Malo. C’était dur et j’ai pu mieux comprendre de l’intérieur, alors que nous étions pourtant quatre, ce que représentait la difficulté des éléments, et ce rapport unique qu’on a avec eux et qu’il faut avoir connu.
Vous écrivez « Nos histoires de famille sont des histoires de transmission ». Vous, l’homme du 20 heures, que retenez-vous de permanent à transmettre à nos enfants ? J’en ai fait mon métier : j’aime énormément cet exercice de transmettre aux auditeurs ou aux téléspectateurs ce que j’ai appris dans la journée. Et plus modestement, dans mon cercle familial, cette transmission à mes enfants est ce qui peut justifier mon très court passage sur terre. Je garde toujours espoir que nos enfants parleront à leurs propres enfants, de rencontres avec leurs parents et de ce qu’ils ont pu apprendre. Les enfants sont notre avenir, et c’est à cette aune que notre civilisation sera jugée.
Vous décrivez « le retour à l’enfance, cet état d’esprit que Bernanos place au plus haut de l’âme humaine ». C’est aussi la voix du Petit Prince de votre cher Saint-Exupéry, ou de sainte Thérèse de Lisieux. Que vous inspirent-ils ? Ce sont trois personnages que j’admire car ils se sont penchés sur la spiritualité. Une fois que nous avons appris à découvrir les bonheurs matériels, c’est bien de savoir donner aussi un sens à sa vie. Ces trois êtres l’ont fait tout en restant dans l’action. C’est la preuve que nous pouvons mener deux ou trois vies de front.
Vous égrenez tous les saints bretons dans votre livre. Et vous, qui sont vos saints préférés ? J’aime bien mon saint patron, Patrick, car il lui est arrivé mille choses ! Irlandais, il a été capturé par des pirates, il est revenu évangéliser l’Irlande. J’apprécie également saint François d’Assise parce que rien ne le destinait à l’ascétisme dans la façon libérée dont il vivait. Enfin, un autre surtout que j’ai eu la chance de rencontrer et qui a été canonisé il n’y a pas si longtemps : il s’agit du pape Jean-Paul II. Il a joué un rôle important non seulement pour la foi, mais aussi dans le rééquilibrage du monde : ce qu’il a fait pour Solidarnosc en Pologne a contribué à la chute du communisme. J’ai eu la chance de converser avec lui pour un documentaire, je l’ai suivi un peu partout, à Castel Gondolfo et au Vati- can. Ce sont des moments très forts qui restent gravés dans ma mémoire. Son « N’ayez pas peur » est une phrase à répéter en permanence aujourd’hui, surtout en ces temps anxiogènes.
« Les Bretons entretiennent un rapport très étrange avec la mort, fait de respect, mais aussi de proximité » selon vous. Quelles leçons tirer de cette sagesse dans la crise que nous traversons ? Il faudrait déjà se souvenir que dans le passé, nous avons connu la peste noire au milieu du XIVe siècle, la Grande Peste en 1720 à Marseille, la grippe espagnole avec plus de dix millions de morts en Europe, la grippe asiatique… Il y a toujours eu de grandes épidémies, il faut toujours relativiser, et en même temps combattre, mais ne soyons pas plaintifs du matin au soir.
Vous-même, la vie vous a confronté de manière tragique à la mort. Comment reste-t-on présent quand si forte est l’absence ? Je pense que mes filles m’ont accompagné, peut-être encore plus que si elles étaient encore là, vivantes. Ce n’est pas impossible qu’elles m’aient guidé dans des choix de vie. Elles m’ont rendu plus altruiste. Je m’intéresse davantage à la misère des autres et j’ai toujours essayé d’aider comme je le pouvais en maints domaines, notam- ment sur ce chapitre crucial de la protection de l’enfance, essentiel pour notre civilisation.
« J’aime bien mon saint patron, Patrick… »
Votre vie est marquée par différents soutiens humanitaires (Espérance-Banlieue, l’Unicef…). Peut-on vivre sans engagement ? Victor Hugo écrivait : « Aimer, c’est agir. » C’est aussi le titre d’un de mes livres dans lequel j’explique qu’une existence se résume à la somme de ses engagements. Quand on a la chance d’être privilégié matériellement ou relationnellement, il faut utiliser ses capacités au service du bien des autres. Et cet engage- ment apporte une grande densité à sa vie.
Votre livre est un merveilleux compagnon de voyage en ces temps confinés et un hymne à la Création. La beauté d’un coucher de soleil sur la mer peut-elle être, selon vous, le résultat du hasard ? En ce qui me concerne, j’ai un rap- port très fragile avec la foi. Pour moi, c’est peut- être la preuve que Dieu existe. Pour qu’il puisse y avoir de si belles choses sur terre, c’est peut-être que quelqu’un les a voulues et les a créées. En les regardant, on ressent au plus profond de soi, un épanouissement, un enrichissement, et beaucoup de bonheur que l’on a envie de partager avec ceux que l’on aime.
Durant 21 ans, vous avez pu interroger des grandes figures du monde contemporain. Certaines vous ont-elles particulièrement marqué ? Je l’ai raconté dans mon livre de souvenirs Seules les traces font rêver. J’ai rencontré des personnages de très grande importance, mais les rencontres les plus fortes étaient avec des hommes ou des femmes de foi. Je pense à sœur Emmanuelle qui est devenue une amie très proche, à l’abbé Pierre, à mère Teresa, au père Pedro que j’aime beaucoup, à Madagascar. Ce sont ces échanges-là qui m’ont le plus marqué.
Après avoir été invité dans le salon ou la salle à manger de millions de Français tous les soirs, que fait PPDA à 20 heures ? Je ne regarde pas le JT, j’ai choisi de passer à autre chose, de tourner la page et de ne pas être dans la rancœur ni la comparaison. Je continue à enregistrer des émissions littéraires sur CNews, à animer des concerts-lectures qui sont des moments qui me rendent très heureux, ou des conférences lors de voyages, et l’écriture de livres évidemment ! Je ne peux pas m’empêcher d’en écrire. Les livres m’ont beaucoup apporté quand j’étais jeune, très timide, c’était mon meilleur compagnonnage.
« J’ai toujours essayé d’aider comme je le pouvais en faveur de la protection de l’enfance, essentielle pour notre civilisation »
Vous pourriez avoir été évincé du JT pour une impertinence. Regrettez-vous cette liberté de ton et cette indépendance d’esprit qui vous auraient mis au pilori ? Non pas du tout, je ne regrette pas une seconde. Les téléspectateurs appréciaient cette impertinence, cette façon de ne pas céder devant les puissants. Ces derniers ont suffisamment de pouvoir pour qu’on puisse un peu les bousculer sans qu’ils en prennent ombrage.
Quand vous rencontrerez Dieu, qu’aimeriez-vous qu’il vous dise ? Si je le rencontre, je serai très heureux de pouvoir vérifier qu’il existe bien. Nous journalistes, comme saint Thomas, nous avons toujours besoin de vérifier, donc je serai heureux car j’aurai recoupé mes sources ! Et dans ce cas, j’aimerais qu’il se moque un peu de moi car j’ai été sceptique tout au long de ma vie, et qu’il me dise : « Tu vois ! » Je me sens catholique puisque j’ai été baptisé dans la cathédrale de Reims, je me sens profondément de cet environnement-là. Même si je ne suis pas tout ce qui est inscrit dans la religion catholique, la charité et l’amour des autres m’intéressent infiniment, et je pense que c’est ce qui laisse une trace très forte par rapport aux autres religions.
SON DERNIER LIVRE
La Bretagne au cœur, Patrick Poivre d’Arvor, Éditions du Rocher, 190 pages, 16,90 €.