VIVONS-NOUS LA FIN DES TEMPS ?

25 avril 2020

17 L1v N114 JM Salamito

Épidémies, crises économiques, catastrophes naturelles et climatiques, confinement, l’heure de l’apocalypse a-t-elle sonné ?

LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET JEAN-MARIE SALAMITO

Jean-Marie Salamito est professeur d’Histoire du christianisme antique à Sorbonne Université, où il dirige l’École doctorale « Mondes antiques et médiévaux ». Il est marié, a trois filles et deux petites-filles.

Nos cathédrales s’enflamment, les scandales n’en finissent plus d’entacher l’Église, une épidémie s’abat sur le monde entier, la fin des temps serait-elle arrivée ?

Nous vivons dans le stress de cette épidémie, alors attachons-nous à raisonner. Il y a eu l’incendie de la cathédrale de Nantes et celui de Notre-Dame de Paris. Dans les deux cas, on suppose des négligences humaines. Les accidents de chantier n’ont rien d’exceptionnel, mais ceux-là nous affectent parce qu’ils concernent des chefs-d’œuvre. Au nom de quel fantasme voudrions-nous que les cathédrales soient indestructibles ? Des scandales dans l’Église, il y en a toujours eu. Historien, je suis bien placé pour le savoir. Ce qui est nouveau, c’est la médiatisation, associée à notre désir de transparence. Les évêques de France ont eux-mêmes voulu une commission indépendante, pour faire la lumière. Nous n’allons tout de même pas regretter que la vérité soit dite ! Le Covid-19 endeuille le monde entier parce que nous vivons dans la mondiali- sation, pour le meilleur et pour le pire. Renonce- riez-vous à vos voyages en avion vers des pays lointains ? Surtout, ces trois problèmes ne sont pas liés. Ne parlons donc pas de « fin des temps ». Si vous vous situez hors de toute logique religieuse, ne vous faites pas peur avec cette expression étrangère à vos convictions. Et si vous avez le bonheur de partager la foi chrétienne, faites confiance à Dieu.

Votre Dieu « bon et miséricordieux » semble bien en colère !

Ce cliché de la « colère de Dieu » est un anthro- pomorphisme, une manière de projeter sur Dieu des attitudes humaines, y compris négatives. Les historiens des religions connaissent ce phéno- mène. Maintenant, regardez le message évangé- lique en ce qu’il a d’original. Le point culminant de la révélation chrétienne, c’est la personne de Jésus, à la fois vrai Dieu et vrai homme. Ce Dieu qui, au moment où il endure un des pires supplices jamais inventés par des êtres humains, pardonne à ses bourreaux, est-ce que vous l’imaginez en train de se mettre en « colère » contre l’humanité ? Ce Jésus qui guérissait les malades et ressuscitait les morts, vous voudriez que, remonté au Ciel, il prenne plaisir à envoyer sur le monde des épidémies ?

Certains disent que ce qui se produit est un juste châtiment pour nos péchés, et les innocents alors, pourquoi souffrent-ils ?

Comme vous, je me méfie de la tendance à vou- loir des coupables et à prendre les malheurs pour des « châtiments ». Cela a souvent conduit à des horreurs. Apaisons-nous, restons rationnels. Observons Jésus. Face à un aveugle de naissance, ses disciples lui demandent : « Qui a péché, lui ou ses parents ? » Jésus répond : « Ni lui ni ses parents. » Il refuse cette recherche obsessionnelle de coupables supposés. Et ne parlons jamais à la légère de la souffrance de quiconque, encore moins de celle des innocents. Face au malheur d’autrui, ne perdons pas notre temps à nous scandaliser en paroles. Posons des actes, essayons d’aider. Avez-vous remarqué que c’est ce que font, aujourd’hui comme hier, beaucoup de chrétiens ? Au moment où je vous parle, ma femme, médecin hospitalier, se dévoue à des personnes âgées atteintes du Covid-19. Elle pense à ces personnes et à Jésus. Elle ne disserte pas sur le problème philosophico-théologique de la souffrance.

Les chrétiens ne parlent que de « jugement dernier »… J’espère qu’ils sont contents, le voilà arrivé, ma parole !

Nous ne devons pas connaître vous et moi les mêmes chrétiens. Ceux que j’étudie dans le passé, comme ceux que je fréquente dans ma vie, parlent de l’amour de Dieu. La première chose qu’ils disent aux gens, c’est : « Dieu vous aime ! » Ils présentent le salut, la vie éternelle, un Dieu venu sur terre pour libérer les hommes du mal et de la mort. Ils ne prétendent pas prévoir l’heure du Jugement, car ils se rappellent que Jésus, sur ce point, a laissé ses plus proches disciples dans l’ignorance (voyez les Actes des Apôtres, cha- pitre 1, verset 7 : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité »). Si nous sommes chrétiens, ne prétendons pas deviner ce que le Christ n’a pas souhaité nous dire, mais faisons-lui confiance. Si nous ne le sommes pas, ne nous donnons pas à nous-mêmes des frissons avec un scénario auquel nous ne croyons pas.

Vivons-nous l’apocalypse ?

Notre mot « apocalypse » vient d’un nom grec signifiant « dévoilement », « révélation ». C’est différent de l’idée de « fin du monde ». Est-ce que cette pandémie nous dévoile un message, nous révèle une vérité ? Dit-elle quelque chose de plus que les malheurs des siècles passés ? Sincère- ment, je ne crois pas. Vous qui parlez d’apocalypse, si vous voulez vraiment une révélation, acceptez un conseil. Procurez-vous l’Évangile selon Marc : c’est le plus bref des quatre évangiles, vous l’aurez lu en une soirée. À travers ces pages, Jésus vous sera révélé, dévoilé. Vous verrez, c’est beaucoup plus fort que les élucubrations des réseaux sociaux sur la « fin du monde ».

Dans des circonstances pareilles, j’ai pensé à remplir mon frigo et mes placards, pas question de me retrouver prise au dépourvu !

La prévoyance est une vertu ; mais faut-il céder à la peur ? Faut-il manquer de confiance dans les structures de notre État, de notre société et de notre économie ? Ce confinement qui nous est pénible, prouve justement la vitalité de ces struc- tures : nous ne vivons pas dans le chaos. Et puis, soyons cohérents : ou bien nous pensons que c’est une crise passagère, ou bien nous fantas- mons sur la fin des temps. Dans le premier cas, faisons des provisions raisonnables, sans paniquer. Dans le second (auquel, pour ma part, je ne crois pas), ne nous leurrons pas : si, comme vous semblez le supposer, la « fin du monde » arrive, votre frigo et votre stock de papier hygiénique ne vous en protégeront pas.

Les chrétiens n’arrêtent pas de lancer des chaînes de prière et pourtant il y a de plus en plus de morts dans cette épidémie : votre Dieu n’a aucune pitié pour les hommes ou bien il se tourne les pouces !

Si les chrétiens ne priaient pas, vous le leur repro- cheriez – et vous auriez raison. Laissons-les prier, et ne nous étonnons pas que les fruits de leurs prières ne nous sautent pas aux yeux. Si les chré- tiens opéraient à tout bout de champ des miracles, que deviendrait la liberté d’être chrétien ou de ne pas l’être ? Leur puissance ne vous paraîtrait-elle pas un danger pour les autres ? Et ne risquerait- elle pas de les plonger eux-mêmes dans un orgueil contradictoire avec la vie chrétienne ? Dans notre quotidien, l’action de Dieu est discrète. Les croyants le savent par expérience. Mais, il y a deux mille ans, leur Dieu, fait homme, est mort sur une croix pour vaincre la mort. Vous avouerez que ce n’est pas là une manière de « se tourner les pouces ».

Tous ces malheurs nous enseignent que l’essentiel est de tirer un maximum de plaisir dans l’instant présent car on ne sait jamais de quoi l’avenir sera fait.

C’est plutôt le contraire, et vous le savez. Ces évé- nements prouvent la valeur de la solidarité, du dévouement, de l’héroïsme, de la recherche et des prévisions. Personne ne peut s’en tirer tout seul ni vivre dans l’instant. Je parie que vous ne mettez pas en pratique ce que vous venez de dire. Je ne peux pas croire que vous n’écoutiez pas l’élan de générosité qui existe au fond de chaque être humain et qui est un don de Dieu. 

POUR ALLER + PLUS LOIN : 

Premiers écrits chrétiens, édition publiée sous la direction de Bernard Pouderon, Jean-Marie Salamito et Vincent Zarini, Bibliothèque de la Pléiade (n° 617), Gallimard, 2016, 1648 pages, 66 €.

Monsieur Onfray au Pays des Mythes : réponses sur Jésus et le christianisme
Jean-Marie Salamito, Salvator, 2017, 160 pages, 15 €.

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