Religion, quelle place dans l’espace public ?

12 juin 2017

Père Mathieu Rougé.

Débat. Le débat est de plus en plus tendu entre les partisans d’une laïcité permettant aux religions d’exister dans l’espace public, et une autre conception de la laïcité qui veut les en faire disparaître. Les religions doivent-elles rester enfermées dans l’espace privé?

Le débat entre Lili Sans-Gêne  et le Père Mathieu Rougé.

 Je ne comprends pas pourquoi les chrétiens sont si engagés dans le monde politique, social, etc. alors que votre religion vous pousse au contraire plutôt à vous détacher du monde!

 Être chrétien, c’est à la fois vivre pleinement dans le monde, en étant attentif aux joies et aux espoirs, aux tristesses et aux angoisses de nos contemporains (cf. Vatican II), et ne pas épouser la logique du monde, faite de violence, de dureté, de volonté de puissance. Jésus lui-même a prié pour cela, pour que ses disciples vivent vraiment « dans le monde » sans être pour autant « du monde » (Jean, 17). Si les chrétiens s’enferment et vivent entre eux, ils ne sont pas fidèles à leur vocation. Mais s’ils agissent et pensent « comme tout le monde », sans recul critique par rapport au politiquement correct, ils ne sont pas non plus de vrais disciples du Christ et n’ont aucune « valeur ajoutée » pour leurs contemporains. L’équilibre n’est pas facile à trouver entre l’engagement et le recueillement mais la recherche permanente de cet équilibre est ce qui donne sa saveur à l’existence chrétienne.

 Je trouve cela assez déplacé, dans un pays laïque, que des gens prennent publiquement parti au nom de leur foi, comme le font certains évêques en particulier, ou d’autres chrétiens.

 En France, l’État (c’est-à-dire les structures publiques qui permettent la vie commune) est laïque, mais la société ne peut pas l’être : elle est en effet l’espace où coexistent tous les citoyens avec ce qui fait leur vie, notamment, pour certains, la foi et sa légitime expression publique et sociale. La responsabilité des évêques et des prêtres est d’abord spirituelle, mais elle a aussi une répercussion éthique : voilà pourquoi ils se tiennent à un devoir de réserve en matière partisane (pour ne pas interférer dans le fonctionnement interne de l’État) mais ont une obligation morale d’intervention en matière éthique et sociale.

 Comment un homme politique ose-t-il déclarer publiquement qu’il est catholique? C’est honteux. Les convictions religieuses sont d’ordre privé, c’est insupportable, ces débordements. Comment peut-il ensuite prétendre gouverner un pays en toute neutralité, s’il dit qu’il appartient à une religion?

 Affirmer sobrement, sans volonté de récupération et dans le respect de tous, son appartenance spirituelle est totalement légitime. C’est aussi un acte de sincérité qui prévient l’accusation d’agir au nom d’une appartenance cachée. La foi n’est pas une réalité indigne ou menaçante : elle fait partie de la vie d’un très grand nombre de citoyens. Dans sa toute première présentation de chef de la France libre à la presse anglaise en 1940, le général de Gaulle a déclaré : « Je suis un Français libre. Je crois en Dieu et en l’avenir de ma patrie » ; cela ne l’a pas empêché de mener le combat de la liberté puis de fonder la Ve République.

 Je trouve normal qu’on demande aux gens, dans les lieux publics comme les écoles, les hôpitaux, etc., de ne pas porter de signe distinctif de leur foi. De même, il ne devrait pas y avoir non plus, dans cet espace, de signes religieux visibles: croix, crèches, statues de saints ou calvaires dans certaines villes. Cela blesse les convictions de ceux qui n’ont pas la foi, ou pas celle-là.

 Une chose est la nécessaire neutralité des fonctionnaires dans l’exercice de leur mission de service public, une autre est la légitime présence d’expressions religieuses dans l’espace public, souvent liées à notre histoire et à notre culture. Va-t-on rebaptiser la ville de Saint-Étienne ou la rue du Faubourg-Saint-Honoré, où se situe la Présidence de la République, au nom de la laïcité ? Ce serait purement et simplement grotesque. Certains perçoivent crèches, statues et calvaires comme des symboles d’accueil, des expressions culturelles voire des points de repères topographiques, d’autres comme des signes religieux qui les touchent. La variété de ces perceptions ne nuit pas à la paix sociale mais au contraire l’enrichit, au moins culturellement.

 En ce cas il faudrait mettre toutes les religions à égalité et permettre aux musulmans, juifs, bouddhistes, etc. de mettre aussi leurs signes religieux dans l’espace public. Pourquoi pas une statue de Bouddha ou un croissant coranique à l’angle d’une rue, plutôt qu’une statue de la Vierge?

 Les différentes religions n’ont pas la même histoire en France et donc pas la même visibilité culturelle. Les traces de l’histoire ne se décrètent pas, mais se reçoivent de l’aventure humaine qui nous précède. Cela dit, la Pagode de Chanteloup, au milieu des châteaux de la Loire, la grande mosquée de Paris ou la synagogue de la rue de la Victoire sont des monuments qui s’inscrivent depuis longtemps et paisiblement dans notre patrimoine. Attention par ailleurs à ne pas projeter sur les différentes religions des habitudes proprement chrétiennes : nos calvaires, par exemple, sont souvent le rappel d’événements missionnaires qui n’ont pas leur équivalent dans les autres traditions spirituelles.

 Pour poursuivre mon souci d’équité, ce qui me semblerait juste également, c’est que, comme l’a proposé Terra Nova, on supprime deux fêtes chrétiennes du calendrier pour les remplacer par une fête juive et une fête musulmane.

 Il est aujourd’hui possible pour les fidèles de toutes les religions d’obtenir des jours de congé pour les fêtes qui leur tiennent à cœur. Paradoxalement, il a pu être plus difficile pour des militaires chrétiens d’obtenir des permissions pour Pâques ou le Vendredi saint que pour des soldats d’autres confessions de pouvoir s’absenter à l’occasion de leurs célébrations religieuses particulières. Depuis le concordat napoléonien, qui a réduit les jours fériés d’origine chrétienne, il n’y a que quatre fêtes chrétiennes chômées en dehors du dimanche : Noël, l’Ascension, le 15 août et la Toussaint. Au-delà de leur signification spirituelle, ces journées ont une portée culturelle et familiale considérable. Elles participent d’une temporalité collective qui contribue à notre paix sociale. Dans les temps troublés qui sont les nôtres, on peut envisager toutes sortes d’adaptations, mais il faut faire attention à ne pas briser les points de repère qui contribuent à forger l’unité, si fragile et nécessaire, de notre cité.

Pour aller plus loin : 

L’Église n’a pas dit son dernier mot. Petit traité d’antidéfaitisme catholique, Matthieu Rougé, Robert Laffont, 2014

LIBRE DE LE DIRE DANS L’ESPACE PUBLIC, Dans la rue, les lieux publics et en public,  Conseil National des Evangéliques de France (CNEF), BLF éditions, 2015

 

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