Les croisades, guerre ou pèlerinage ?

27 juillet 2010

michel balard

Controverse. Les croisades ont aujourd’hui une image noire et honteuse alors qu’il y a encore cent cinquante ans, les croisés étaient considérés comme des héros. Guerre ou pèlerinage ? La réalité est plurielle. Retour sur un sujet où les caricatures sont nombreuses.

Débat entre Natacha et le professeur Michel Balard.

« Au nom de Dieu,  ces chevaliers chrétiens pillèrent, violèrent, massacrèrent »

1 Les croisades sont un grand mouvement politique et guerrier de conquête de l’Orient. Leur objectif était de prendre des territoires qui appartenaient depuis toujours aux musulmans, de s’enrichir et de fonder de nouveaux royaumes francs. En réalité, les croisés étaient des colons. Le peuple a suivi le mouvement des barons.

À l’origine de la Première croisade, il n’y a absolument pas l’objectif de conquérir des territoires. Il s’agit, en réponse à l’appel lancé par le pape Urbain II, à l’issue du concile de Clermont en novembre 1095, de libérer le tombeau du Christ – à Jérusalem – occupé par les Sarrasins. Libérer ainsi la ville sainte et tous les lieux saints chrétiens qu’elle contient, était pour les croyants un pèlerinage incontournable. Les études les plus récentes mettent en évidence ces causes spirituelles de la croisade, qui réunit guerre sainte et pèlerinage, au détriment des motifs matériels. Pourquoi, en effet, se rendre dans des terres désertiques, alors que s’offraient en Occident de riches terres à défricher ? D’autre part, la croisade a certainement coûté beaucoup plus cher aux pèlerins (les participants mettaient leurs biens en gages) qu’elle ne leur a rapporté. Il faut enfin rappeler qu’une infime minorité de croisés est restée sur place après la prise de Jérusalem. La plupart des survivants ayant choisi de rentrer aussitôt en Occident, jugeant leur vœu spirituel accompli.

2 En réalité, la prise du tombeau du Christ n’était qu’un prétexte pour commettre des exactions en dehors d’Europe et occuper les seigneurs pour qu’ils ne complotent pas contre le roi.

Non, le roi de France Philippe 1er, qui était excommunié en 1095-1096 à cause d’une liaison illégitime, ne s’est absolument pas occupé de la croisade, à laquelle ont participé d’abord des foules qui suivaient l’appel de prédicateurs populaires, tel Pierre l’Ermite, puis des grands seigneurs, la plupart originaires de terres extérieures au domaine royal.

3 Nous savons que l’autre objectif des croisés était de convertir, par la force, les musulmans.

C’est inexact, dans la mesure où des hommes d’Église, aussi différents que Grégoire VII, Hostiensis ou Thomas d’Aquin ont fermement condamné les conversions par force. D’ailleurs, s’il y a eu quelques convertis parmi les musulmans, il s’agit de Sarrasins qui s’étaient mis au service de barons croisés.

4 Le comportement des croisés est loin de celui d’hommes pieux à la conquête du tombeau du Christ, comme on l’enseignait à l’école à une certaine époque, mais plutôt de fanatiques religieux. Au nom de Dieu, ces chevaliers chrétiens chevauchèrent vers l’Orient, pillant, violant, massacrant, au nom de leur foi, les populations chrétiennes et non chrétiennes qu’ils rencontraient et saccageant tous les lieux. Ce sont des criminels de guerre. Il y a eu des centaines de milliers de morts.

« Il ne faut pas juger les événements du passé selon nos critères du XXIe siècle »

Il faut situer les événements par rapport à leur époque, et non les juger selon nos critères du XXIe siècle. La guerre et la violence caractérisent les sociétés du milieu du Moyen Âge. Les foules inorganisées partant pour la croisade devaient nécessairement se nourrir au cours de leur itinéraire et le peu d’argent qu’elles avaient emporté ne suffisait pas pour effectuer des transactions. Les croisés ont commis des violences mais en ont aussi subies, au point que les survivants, arrivés à Jérusalem, ne représentaient plus qu’un dixième, ou moins, de ceux qui avaient pris le départ. Quant à la prise de Constantinople en 1204 par la quatrième croisade, c’est certes un acte inqualifiable, mais dont une part de la responsabilité vient des Grecs eux-mêmes, qui avaient laissé se déliter l’empire byzantin et avaient participé au massacre des marchands occidentaux à Constantinople en 1182, de sorte que les relations entre Orient byzantin et Occident latin s’étaient fortement dégradées à la fin du XIIe siècle.
Cependant, il ne faudrait pas généraliser les scènes horribles de la prise de Constantinople en 1204 et faire des Francs, tout au long des deux siècles de la croisade, des brutes sans merci. Les violences ont été partagées et l’on sait que toute guerre en est remplie. Les Francs s’attendaient à trouver aide et ravitaillement à Byzance et ont vite suspecté le comportement impérial, jugé ambigu. Lors de la première croisade, des chefs comme Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, avaient manifesté du respect
envers l’empereur.

5 Il y a eu huit croisades. Toutes ont été lancées par l’Église. Elle a encore du sang sur les mains : elle est encore entachée par cette page de son histoire peu glorieuse. Il serait temps qu’elle demande pardon…

La papauté a certes lancé les croisades, mais n’a souvent eu aucun moyen d’en contrôler le déroulement. D’autre part, beaucoup de souverains (Louis VII, Conrad III, Philippe Auguste, Richard Cœur de Lion, Frédéric Ier Barberousse, Frédéric II, saint Louis) ont participé aux croisades et pris des initiatives personnelles dans leur déroulement. Rejeter sur l’Église l’entière responsabilité des faits est injuste. Quant à la repentance, faut-il demander aux Arabes de s’excuser des exécutions des prisonniers faits par Saladin, à la bataille de Hattin (1187), ou aux Grecs du massacre des marchands occidentaux à Constantinople en 1182 ? N’avons-nous pas mieux à faire aujourd’hui qu’à demander pardon pour des faits vieux de huit siècles et qui s’expliquent par le comportement des sociétés médiévales, fort éloigné de celui du monde moderne ?

Michel Balard

Agrégé d’histoire, étudiant à l’École pratique des Hautes Études, il a ensuite été membre de l’École française de Rome de 1965 à 1968. Il est aujourd’hui professeur émérite à la Sorbonne Paris-I. Il est spécialiste du Moyen Âge et des croisades. 

Natacha

Étudiante en Master 1 d’histoire, elle souhaite soutenir une thèse sur les croisades pour rétablir la vérité sur cette période trouble de l’histoire du Moyen Âge en général et de l’Église en particulier. Elle conjugue sa passion pour l’histoire avec la danse moderne. 

Aller plus loin:
Les Latins En Orient (XIe - XVe Siècle), Michel Balard, PUF, Nouvelle Clio, 2006.

Le Moyen Age en Occident, de Michel Balard, Michel Rouche, Jean-Philippe Genet, Hachette, 2003.

L’esprit de la croisade, Jean Richard, éd. du Cerf, 1967, réédition 2000.

L’Histoire médiévale en France : Bilan et perspectives,, sous la direction de Michel Balard, Duby, Seuil, 1991.

Histoire : Le sac de Constantinople
La ville de Constantinople a été le théâtre de l’événement le plus terrible des huit croisades. Au cours de la quatrième croisade, en avril 1204, les croisés, ayant besoin d’argent, prennent d’assaut la ville, célèbre pour ses richesses et ses reliques. Pendant trois jours, ils la mettent à sac et la pillent, massacrant ses habitants. L’épisode est tellement sanglant que le pape Innocent III lui-même, dénonce ses troupes : « Vous avez dévié et fait dévier l’armée chrétienne de la bonne route dans la mauvaise. »
Ce sac a laissé une profonde déchirure entre chrétiens d’Orient et d’Occident, orthodoxes et catholiques. Lors du grand jubilé de l’Église en l’an 2000, Jean-Paul II a demandé publiquement pardon pour cet épisode, au nom de l’Église :
« Certains souvenirs sont particulièrement douloureux, et certains événements d’un lointain passé ont laissé jusqu’à ce jour de profondes blessures dans les esprits et dans les cœurs du peuple. Je pense au sac dramatique de la ville impériale de Constantinople, qui était depuis si longtemps le bastion de la Chrétienté en Orient. Il est tragique que les assaillants, qui étaient partis assurer le libre accès des chrétiens à la Terre Sainte, se soient retournés contre leurs frères dans la foi. Le fait que des chrétiens latins y participaient remplit les catholiques d’un profond regret. (…) Le jugement appartient seulement à Dieu, et par conséquent nous confions le lourd fardeau du passé à son infinie miséricorde, l’implorant de guérir les blessures qui font encore souffrir le cœur du peuple grec. Ensemble, nous devons travailler à cette guérison, si l’Europe qui émerge maintenant désire être vraie avec son identité, qui est inséparable de l’humanisme chrétien partagé par l’Orient et par l’Occident. »

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