CLARISSE CRÉMER « J’ÉPROUVE DE LA GRATITUDE POUR LA BEAUTÉ DES ÉLÉMENTS »

25 avril 2020

01 2019-01-25_250119-martin-keruzore-bpce-83__2129

Lancée dans la course au large en 2016 avec très peu de bagage nautique mais une grosse volonté d’apprendre, Clarisse Crémer est aussitôt récompensée par une belle deuxième place sur 55 concurrents à la Mini-Transat 2017 : une traversée de l’Atlantique à la voile, en solitaire et sans assistance. En 2019, elle est passée professionnelle et s’est lancé de nouveaux défis…

PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE MEYER

En 2019, Clarisse a intégré le prestigieux Team Banque Populaire et passé l’année à disputer des courses en double avec Armel Le Cléac’h. Avec cette équipe déjà victorieuse en 2016, elle prépare son premier tour du monde en solitaire : le Vendée Globe 2020.

Bonjour Clarisse, parlez-nous de votre carrière de navigatrice : où en étiez-vous lorsque l’épidé- mie s’est déclarée en France ? J’étais à Lorient, prête à mettre mon bateau à l’eau après plusieurs mois de chantier…

Comment avez-vous vécu l’obligation de rester à terre et d’interrompre vos entraînements ? J’étais forcément très déçue de devoir reporter le beau programme d’entrainement qui m’attendait avant deux transatlantiques en solitaire aux mois de mai et juin. C’est un peu particulier d’avoir remplacé de longues semaines intenses de navigation contre du confinement, mais j’ai néanmoins vraiment à cœur de relativiser, car ce n’est que du bateau. Par rapport à la crise globale qui est en cours, c’est vraiment peu de chose !

« Chaque journée, chaque heure a sa valeur »

Vous qui êtes navigatrice en solitaire, vous devez être habituée à ces conditions de vie… On compare souvent la vie en mer en solitaire et le confinement que nous vivons tous actuellement, mais il faut noter une différence essentielle : lorsque je pars en mer, je l’ai choisi, c’est un événement très positif pour moi, en dépit des difficultés que je peux rencontrer au large. Ce confinement est subi et certaines personnes sont dans des conditions compliquées. Je ne veux donc pas faire de parallèles douteux. Pour moi, le plus gros point commun, c’est la sensation de vivre hors du temps : chaque journée, chaque heure, a sa valeur, sans vraiment de hiérarchie. En mer, les notions de week-end, de jour et de nuit, n’existent pratiquement plus. On a beau faire des stratégies et des plans divers, on vit au jour le jour. C’est un aspect psychologique extrêmement enrichissant que de vivre chaque instant pour ce qu’il est.

« Une pause contemplative de quelques minutes peut faire beaucoup de bien »

Racontez-nous le quotidien à bord d’un voilier de course. C’est un très vaste sujet ! On est à la fois très routinier, car il y a beaucoup de tâches répé- titives à accomplir : la météo, manger le mieux possible, dormir par tranches courtes (dix à quinze minutes lorsque l’on est près des côtes et jusqu’à quarante-cinq minutes au large), surveiller son bateau, réparer, manœuvrer… Et, à la fois, tout peut arriver, on ne choisit pas les variations du vent ! Tout peut changer en un instant et une journée supposée calme peut devenir très compliquée si un pépin technique arrive !

Quelle est la quantité d’eau, de nourriture, de livres ou de coups de téléphone que vous vous autorisez à bord ? C’est très variable en fonction des courses et du bateau. Sur le Vendée Globe, je pars avec quatre-vingt-dix jours de nourriture. J’ai bien évidemment des rations de survie renfermées dans un sac étanche à emporter avec moi si je dois abandonner le bateau. Je produis mon eau avec un dessalinisateur, j’emporte beaucoup de livres sur une liseuse (le papier pèserait trop lourd), pour me changer les idées. Trois mois en mer, cela laisse un peu de temps… Grâce au téléphone – un cadeau extraordinaire de ce monde moderne –, je peux rester en lien avec la terre presque aussi bien que tout le monde. Il faut être vigilant pour ne pas devenir accro à ce réconfort lorsque l’on est seul en mer. Entre les sollicitations des médias, de l’organisation de la course, du sponsor et de l’équipe technique, les contacts avec la terre sont fréquents et parfois un peu lourds à gérer avec un gros bateau dans les mains.

BPX – Skipper Clarisse Crémer , Armel Le Cléac’h
TJV 2019
Photo : Vincent Curutchet / BPCE

Quelle est l’importance, à vos yeux, de ces petits liens avec le reste du monde ? Cela dépend des courses : certaines se passent sans moyen de com- munication. Dans ce cas, on ne peut qu’imaginer la vie à terre. C’est un phénomène assez puissant, où l’on se plonge de façon très émotive dans les souvenirs et les échanges passés avec ceux qui nous sont chers. La course au large en solitaire est intéressante dans la gestion même de cette solitude. Il faut être très volontaire pour ne pas trop se reposer émotionnellement sur les autres.

Quel conseil donneriez-vous à nos lecteurs pour bien vivre ce « détachement » volontaire ? C’est difficile de donner des conseils lorsque le confi- nement est subi et non choisi. De mon côté, je suis très privilégiée, étant donné que je n’ai pas de personnes vulnérables à charge et que j’ai une maison avec un jardin… Il y a toutefois plusieurs petites choses qui m’aident à titre personnel : lâcher prise à l’idée de tout contrôler et ne pas trop faire de plans sur la comète pour l’après-confinement, avoir en revanche un planning pour chaque journée et la vivre pour ce qu’elle est sans penser aux sui- vantes. Être actif, mais se fixer de petits objectifs concrets et faciles à atteindre pour se donner confiance en soi.

Avez-vous déjà ressenti la crainte de manquer quelque chose, de ne pas pouvoir vous trouver au chevet d’un malade, en présence de quelqu’un qui vous est cher ? Oui, cette peur est très présente, surtout lorsqu’on est très fatigué et donc à fleur de peau. Je n’ai pas de recettes secrètes si ce n’est de partir en mer avec le moins de « casseroles » possible : avoir réglé tous ses problèmes avec les personnes que l’on aime et surtout, leur avoir dit qu’on les aime !

À quoi pensez-vous, lancée seule à travers l’Atlantique ? Comment vous occupez-vous l’esprit ? Mon activité favorite consiste à me plonger dans mes souvenirs en m’imaginant dans des lieux qui me sont chers. C’est un passe- temps surprenant, car on arrive presque à se sentir « là-bas ». C’est une forme de méditation. Autrement, en mer, vous êtes plongé dans un état de fatigue intense et il n’est pas évident de mener des réflexions philosophiques pointues. Je me livre à la contemplation, j’éprouve de la gratitude pour la beauté des éléments. Lorsque l’on est stressé par la course, l’état du bateau, la météo, une pause contemplative de quelques minutes peut faire beaucoup de bien. Me rappeler que le soleil et la lune sont là m’apaise beaucoup. Finalement, comme les célèbres Gaulois, savoir que le ciel ne m’est pas tombé sur la tête, voilà l’essentiel !

Vous arrive-t-il de prier quand vous êtes au large ? Je suis catholique pratiquante et je prie souvent quand je suis en mer, mais surtout, je chante beau- coup de chants de messe !

Loin du monde et loin des autres, ressent-on avec plus d’acuité la présence de Dieu à ses côtés ? J’ai toujours eu plus de facilité à ressentir la pré- sence de Dieu en pleine nature que dans le rite. Je me souviens d’une conversation avec un prêtre qui m’avait expliqué que c’était pour lui deux pré- sences différentes… Néanmoins, c’est une présence qui me soutient énormément quand je suis en mer et qui m’est extrêmement précieuse. J’ai également plus de facilité à rendre grâce à Dieu pour chaque moment de joie quand je suis en mer que quand je suis à terre.

Quand le confinement sera fini, que ferez-vous en premier ? Mon premier souhait serait de pou- voir serrer tous les membres de ma famille dans mes bras et de partager un moment convivial avec eux, mais j’ai de gros objectifs sportifs cette année et je risque de ne pas pouvoir prendre le temps de le faire. Alors ce sera sûrement de mettre mon bateau à l’eau, ce qui est un évènement non moins important pour moi !

SON PALMARÈS

Née en 1989, diplomée d’HEC Paris en 2013, Clarisse Crémer participe à son premier Championnat de France Espoir de course au large en 2016. Elle franchit la ligne d’arrivée à la deuxième place dès l’année suivante et s’impose dans la Transgascogne et la Mini-Fastnet. En 2018, elle participe à la Transat AG2R-La Mondiale avec son fiancé Tanguy Le Turquais. En 2019, elle participe à sa première Solitaire Urgo Le Figaro et à la Transat Jacques-Vabre ou « Route du café » (photo) en classe Imoca, en duo avec Armel Le Cléac’h, sur le monocoque Banque Populaire X (6e place au classement général et première de leur catégorie).

FAIRE UN PAS DE PLUS

avec Découvrir Dieu

Posez-nous toutes vos questions de foi. Des personnes se tiennent disponibles pour dialoguer avec vous.

Vous souhaitez échanger avec un chrétien ou confier une intention de prière.

Trouvez une église dans votre région ou votre ville.

recevez un encouragement par semaine avec souffle

Souffle est une newsletter proposée par découvrir dieu

Vous aimez lire

Renseignez votre adresse email ci-dessous
Vous recevrez ainsi chaque mois L’1visible gratuitement dans votre boîte mail